BIOGRAPHIE du Capitaine Jean Marie LE NINAN : un Marsouin exemplaire d’engagement au service de son pays jusqu’au sacrifice ultime

 

 

 

Le capitaine Jean Marie LE NINAN a consacré 17 ans de sa vie au service de sons pays. Il est mortellement blessé au combat le 17 avril 1943 sur le Debel ALLILILA dans le massif du Djebel Mansour lors de la campagne de Tunisie (novembre 1942, juin 1943).

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Un immense merci à Madame CHANSARD, fille du Capitaine LE NINAN et à son mari le Capitaine (er) CHANSARD d’avoir conservé, ordonné les archives de leur père et beau-père et permis que celles-ci puissent être reprises dans cet hommage.

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Né le 11 février 1906 à Sainte Barbe en Plouharnel, il fait ses études aux « saints Anges » à Pontivy. Non reconnu par son père naturel, Jean Marie Le Bagousse,, il accepte, à  l’âge de 18 ans, de prendre le nom de son beau-père, Vincent LE NINAN (originaire de Vannes).  Bien qu’ayant voulu être prêtre, il opte pour la carrière militaire en accord avec sa mère. Avant de s’engager il tient les comptes chez le percepteur de Carnac, monsieur Le Brun qui l’aurait bien voulu comme gendre.

Il se marie le 06 février 1929 avec Marthe BLUTEAU de Carnac en l’église de Saint Cornély à Carnac; la veille, à vélo, ils ont cueilli des brassées de mimosa pour décorer l’église et la salle de réception. Marthe à 19 ans et demi, Jean Marie est affecté à Coblence.  Débute alors la vie de garnison, ils auront 4 enfants :  Yannick, Yves, Jean Pierre et Maryvonne.

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Sa partie de carrière comme sous-officier

Jean LE NINAN s’engage le 15 février 1926 au 151e régiment d’infanterie stationné  à Coblence, il à 20 ans. Il est nommé caporal le 11 novembre 1926 puis sergent le 11 avril 1927. Il est rengagé pour 2 ans toujours au titre du 151e régiment d’infanterie.

Sergent au 151e RI, juin 1927

Le 10 novembre 1929 il est rengagé pour un an au titre du 156e régiment d’infanterie qu’il rejoint le 28 juillet 1929. Le 156e régiment d’infanterie prend l’appellation de 126e régiment d’infanterie le 1er juillet 1930. Il est promu sergent-chef le 1er septembre 1930 et sera admis dans le corps des sous-officiers de carrière à compter du 25 avril 1931.

 

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Sa partie de carrière comme officier

Admis en 1931 à l’école militaire de l’infanterie et des chars de combat à Saint Maixent l’École, il l’a rejoint le 05 octobre 1931 comme élève officier d’active et intègre la promotion du TAFILALET (1931-1933), de Saint Cyr, division coloniale. Il est promu sous-lieutenant le 1er octobre 1932.

 

Avec un de ses camarades de Saint Maixent

Saint Maixent, avec son épouse et son fils ainé Yannick, ce dernier a un mois, octobre 1931

A la sortie de ses deux années il est affecté le 25 août 1933 au 52e bataillon de mitrailleurs d’infanterie coloniale à Agen et il prend le commandement de la 1re compagnie de mitrailleurs pour une courte période du 25 mai au 19 juin 1934. La mutation suivante le dirige vers le 1er régiment de tirailleurs sénégalais à Saint Louis (Sénégal) en juillet 1934, il embarquera à Bordeaux le 31 juillet pour débarquer le 08 août 1934. Il est nommé Lieutenant le 1er octobre de la même année. Rapatrié le 26 juin 1936, il rejoint le le 42e bataillon de mitrailleurs malgaches à Pamiers où il prend le commandement de la compagnie de fusiliers voltigeurs du 13 juin au 1er septembre 1937. Affecté  à Madagascar le 2 décembre 1937, il débarque à Tamatave le 28 décembre au 1er régiment mixte malgache. il prend le commandement de la 9e compagnie le 03 septembre 1939.

En tenue grand blanc au Sénégal avec son fils Yvon, 1934

 

 

A cheval lors d’un prise d’armes à Tamatave (Madagascar). 

Rapatrié le 18 juin 1941, il obtient un laisser-passer pour ramener sa famille à Carnac. Il ne l’a reverra plus.

Octobre 1941

Débarqué à Bône (Algérie) le 05 mars 1942, il rejoint le 15e régiment de tirailleurs sénégalais, qu’il ne quittera plus, à Philippeville du 06 mars au 29 juillet 1942 puis Constantine le 29 juillet 1942. Il est promu capitaine le 25 mars 1942. Il prend le commandement de la 6e compagnie.

Pour découvrir l’historique du 15e Régiment de Tirailleurs Sénégalais extrait de « histoire et épopée des troupes coloniales suivre ce lien » 15e RTS historique

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A partir du 8 novembre 1942 il participe à la campagne de Tunisie

Alors que les troupes Anglo-américaines débarquent entre le 08 et le 11 novembre 1942 en Algérie et Maroc  (opération Torch), en représailles, la zone libre en France est envahie le 11 novembre 1942. Cet acte engagera l’armée d’Afrique dans la lutte contre les allemands.

Le 15e régiment de tirailleurs sénégalais ne quittera pas l’Afrique du nord durant la seconde guerre mondiale. Le régiment sous les ordres du colonel MORLIERE engagera dès le 09 mars le 2e bataillon dans le Sud Tunisien dont la 6e compagnie du capitaine LE NINAN.  Le Sud Tunisien (-fin ), la phase défensive (mars et ) puis la phase offensive (avril-) pour la reconquête de la Tunisie jalonneront cette campagne.

En Tunisie 1942, le Capitaine le Ninan au centre, le Sous-lieutenant Maret à droite et un sergent-chef.
En arrière-plan le massif de l’Alliliga

Le Capitaine LE NINAN au premier plan à gauche, à ses cotés le Sous-lieutenant Maret parrain de 3 tirailleurs sénégalais baptisés en l’église de Kef (Tunisie) le 25 décembre 1942

La carte ci dessous présente le parcours du capitaine le NINAN pendant la campagne:

Pour retrouver le carnet de notes tenu jour après jour  pendant toute la compagne suivre ce lien:   carnet de notes 08 novembre 1942 – 16 avril 1943

Les ultimes journées :

La compagnie est installée dans la région centrale de la Tunisie aux pieds du DJEBEL MANSOUR.

Le matin du 15 avril 1943, le capitaine LE NINAN se rend au Poste de Commandement (PC) du chef de bataillon, le commandant MAESTRACCI, afin d’être renseigné sur les intentions du colonel MORLIERE commandant le régiment. Le général de MONTSABERT arrive au PC,  Le capitaine lui communique ses observations sur la position du Djebel ALLILIGA et donne son avis sur l’action à mener: « y aller ».

L’ordre de faire un coup de main sur les sommets du Djebel est donné mais l’action est reportée dans la soirée du 16 avril, la présence de 9 chars allemands et de deux compagnies d’infanterie ayant été repérés. Le capitaine LE NINAN est autorisé à prendre la tête d’un de ses groupes. Au cours de l’action il sera mitraillé à bout portant proche de son objectif, il meurt pour la France le 17 avril 1943 pendant l’accomplissement de son devoir.

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Son action lui faudra d’être cité à l’ordre de l’armée avec le texte suivant :

« Officier de valeur exceptionnelle, ardent, d’un enthousiasme qu’il avait su communiquer à ses hommes, d’une bravoure légendaire, exemple constant du devoir et de l’abnégation. Volontaire pour un coup de main entrepris dans la nuit du 16 au 17 avril 1943, sur un des sommets de l’Alliliga, à plusieurs kilomètres de nos lignes et fortement tenu par l’ennemi, a réussi à pénétrer dans le dispositif adverse, à la tête de son petit groupe, malgré le feu violent et ajusté de l’adversaire. Pris dans une rafale de mitrailleuse lourde, a disparu dans l’accomplissement de sa mission » .

Cette citation comporte l’attribution de la croix de guerre 1939-945 avec palme et la croix de la légion d’honneur à titre posthume [ordre général n°116 D du général d’armée commandant en chef FCM nommant dans l’ordre de la légion d’honneur au grade de chevalier LE NINAN Jean Marie capitaine 15e RTS].

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Son corps n’a été retrouvé que le 07 juin 1943; Ramené à PONT DU FAHS, il a été ensuite été transféré à KHLEDIA près de TUNIS en attente. Il est inhumé dans le cimetière national de Carthage (Tunisie), sur la colline de Gammarth, carré B, Rang 3, tombe 26 au milieu de ses tirailleurs. Sur la tombe familiale dans le cimetière de Carnac est gravée « A la mémoire du Capitaine Jean LE NINAN mort pour la France 1906-1943 », l’inscription accompagne celle de son épouse.

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La famille au complet est autorisée en juillet 1946 à se recueillir au cimetière de Gammarth (Carthage/Tunisie).
Madame LE NINAN et trois de ses enfants, le 4e prenant la photo
 

Les 4 enfants

 

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La photo de famille que la Capitaine LE NINAN portait sur lui lors du coup de main fatal et marquée de son sang.

La dernière lettre adressée à son épouse datée du 25 mars 1943

Ma chère aimée
        Depuis le début des hostilités (la reprise plus tôt), je n’ai pas pu t’écrire que quelques mots deux fois par formulaires de la croix Rouge. Les as tu reçus? je l’ignore!
        Je suis bien peiné d’être sans nouvelles de vous. je sais qu’il doit en être de même pour toi.
        Je suis parti avec ma compagnie le 08 novembre 1942 pour la Tunisie. J’ai navigué du Nord au Sud et du Sud au Centre puis à nouveau vers le Nord.
        Nous sommes en première ligne et demain matin, je vais faire une reconnaissance près des boches. Je n’ai aucun pressentiment mais on ne sais jamais ce qui peut se passer.
        Ma bien aimée, je suis particulièrement affecté de ne pouvoir te faire parvenir de l’argent car j’en ai et ne dépense presque rien, et pour cause, étant en première ligne je n’en ai aucune occasion.
         Ma chérie, s’il m’arrivait malheur (ce que je ne pense faire), dis toi bien que pas un jour ne s’est passé depuis mon départ sans que je n’ai pensé à toi et aux petits ainsi qu’à tous les parents.
        Vivez dans ma pensée et mon souvenir. Continue à élever nos enfants dans la même voie. Je loue  hautement ton dévouement maternel et tes qualités de bonne mère de famille. Que nos enfants vivent dans les principes de la religion et du culte de l’honneur et du devoir. Ils ne pourront jamais rougir de leur papa, car en toute occasion, j’agis moi-même dans ce sens. Je me suis fait mienne la maxime de L’EMICC: « le travail pour loi, l’honneur pour guide ! ».
Au revoir mon aimée, embrasse nos chers petits pour moi et reçois toutes mes tendresses.
signé Jean
          Mes pensées et baisers affectueux à tous les parents.
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Rapport et témoignages

RAPPORT du chef de bataillon MAESTRACCI

commandant le 2e bataillon du 15e Régiment de Tirailleurs Sénégalais au sujet du décès du capitaine LE NINAN Jean-Marie

Le Capitaine LE NINAN est parti en campagne le 8 novembre 1942 avec le 2e bataillon du 15e Régiment de Tirailleurs Sénégalais comme commandant la 6e compagnie. Dans la nuit du 16 au 17 avril 1943, une reconnaissance est prévu sur le mamelon sud du Massif de l’ALLILIGA (DJEBEL MANSOUR).
Le Capitaine LE NINAN en sollicite le commandement. A 21 heures, il quitte sa compagnie à la tête de ses hommes. Vers 23 heures, il passe aux ruines romaines d’AÏN ATTIA et continue immédiatement sa progression vers son objectif. L’escalade des premières pentes se fait sans incident. Le premier mouvement de terrain est dépassé. Arrivé vers 690.913, des armes automatiques ennemies (deux mitrailleuses au moins) prennent le groupe sous feux et tirent à bout portant. Le groupe est plaqué au sol et ne peut bouger.
Les groupes de soutien (Sous-lieutenant MARET et Sergent-Chef X…) interviennent immédiatement. Le sergent-chef x… tente de remplir la mission du capitaine dont on est sans nouvelles. Mais pris sous le feu des mortiers, mitrailleuses et grenades, ils doivent se replier après avoir neutralisé une mitrailleuse et un groupe ennemi.
Ils attendent le Capitaine LE NINAN à la ferme « LEONETTI ». Le groupe du Sous-lieutenant MARET tente de retrouver, mais en vain, le Capitaine LE NINAN. Plusieurs blessés rejoignent dans la nuit et la matinée. D’après les déclarations des blessés, il ressort que le Capitaine LE NINAN tomba la face en avant et ne bougea plus.
Aucune précision n’a pu être obtenue sur la disparition du Capitaine LE NINAN.
Ce n’est que  le 07 juin 1943, après les recherches plusieurs fois répétées, que le corps du  Capitaine LE NINAN a été retrouvé. Le corps a été ramené à PONT DU FAHS où les honneurs militaires lui ont été rendus en présence du bataillon. il a été inhumé dans le cimetière de cette localité.
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Lettre du Lieutenant MARET à Madame LE NINAN
20 novembre 1945
Madame,
  Il m’est particulièrement pénible de venir raviver aujourd’hui votre grande douleur, mais c’est mon devoir de venir vous parler en quelques lignes du Capitaine LE NINAN sous les ordres duquel je servais au moment ou il est tombé si glorieusement pour la France.
  Affecté dans les premiers jours de novembre 1942 à la 6e compagnie du 15e RTS, à Constantine, j’ai apprécié dès les premiers jours de campagne la bravoure, l’intelligence, les qualités de chef qui faisait aimé votre mari de tous ses hommes. Dès le débarquement des Allemands en Tunisie, notre compagnie est engagée à SIDI N’SIR puis dans la région de TOZEUR, enfin dans la région centrale de la Tunisie, face au DJEBEL MANSOUR. C’est avec une poignante émotion que tous les souvenirs de ces rudes mois de guerre me reviennent à la mémoire, nos causeries de chaque jour ou une amitié profonde nous unissait et galvanisait notre énergie de libérer bientôt la France. Que de fois avec nos camarades, hélas disparus héroïquement pour la plupart, nous avons parlé de vous, de nos familles malheureuses et captives en France ! Que de fois le Capitaine m’a parlé de ses enfants, de votre vie à Madagascar, de ses projets d’avenir, de son petit coin de Carnac.
  A SIDI N’SIR,  en particulier, je me souviens particulièrement de sa joie d’avoir trouver quelques ruines d’origine romaine, fouillant minutieusement chaque grotte, chaque parcelle de cours ruinées. Il fallait voir sa joie les soirs où il avait trouvé une pierre ou une mosaïque. Plus tard dans le sud Tunisien, il se passionna pour les grandes randonnées dans le sable et lorsque, pressés par l’avance allemande, nous devons marcher jour et nuit pour éviter d’être prisonniers, nous avons pleinement compris quelle énergie, quelle force de caractère il avait pour nous sortir d’une situation aussi délicate.
  Dans les premiers jours de mars, la compagnie prit position au pied du DJEBEL MANSOUR, à quelques kilomètres de BOU ARADA, le secteur étant renommé très mauvais, les Allemands étant beaucoup plus nombreux et mieux armés que nous. Ce fut une mission de confiance pour la compagnie LE NINAN. Payant sans cesse de sa personne, il a su nous faire comprendre l’importance de notre tâche. Grace à son ingénieuse activité notre position fut bientôt citée en exemple et le capitaine fut félicité par le Colonel et le Chef de Bataillon, le Commandant MAESTRACCI. Le 16 avril après-midi, nous reçûmes l’ordre de faire un coup de main et de nous emparer par surprise d’un point important du DJEBEL MANSOUR, le DJEBEL ALLILIGA. Vers minuit, je pris un dernier contact avec lui, il me donna ses derniers ordres, me parla de la carte qu’il venait de vous envoyer, puis nous enfonçant dans la nuit, chacun de notre coté, nous attaquâmes des points différents avec nos groupes. Les Allemands nous laissèrent approcher très près et ouvrirent le feu à bout portant. Du groupe du Capitaine, aucun ne devait revenir.
  Quelques temps plus tard, accompagné du Père ALBRECHT, aumônier du 15e, j’ai été recherché son corps et je puis vous affirmer qu’il n’a pas souffert. Il fut inhumé dans le cimetière du PONT du FAHS.
  Sa perte nous a laissé un vide immense, gradés comme tirailleurs, nous avons gardé un souvenir ineffaçable de notre ancien capitaine, et, répondant aux désirs de tous, permettez moi de vous offrir sa croix de la légion d’honneur. Triste et glorieux souvenir qui vous dira que les anciens de la 6e compagnie n’oublient pas et prennent part à votre immense douleur.
Signé: Lieutenant MARET 1er RIC CA3  .
Saint Denis (Seine)
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Philippeville le 20 juin 1945,
Madame, vous m’excuserez de ne pas vous avoir plus tôt envoyé les quelques notes ci-jointes. Je pensais le faire le jour de la victoire mais les émeutes nous ont éloignées de la garnison et nous venons de rentrer. Le Capitaine était pour moi un grand ami c’est pourquoi je me suis cru obliger de fixer dès 1943 quelques souvenirs à votre intention. Il me montrait souvent votre photo avec les enfants. A relire ces pauvres lignes, je constate quelles sont bien pauvres et bien maladroites. Quand je les écrits je n’était pas certain que je pourrais vous les envoyer moi même. Soyez assurée, Madame, du souvenir vivant dans mes prières pour tous ceux dont j’avais la charge. Votre mari occupe la première place. Croyez bien à mon entier dévouement en Notre Seigneur.  Achille ALBRECHT, aumônier du 15e RTS.
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Lettre d’Achille ALBRECHT, aumônier du 15e RTS
à Madame LE NINAN et à ses enfants
Aux armées le 8 juin 1943
J’écris ces quelques mots non pas à titre officiel ou administratif mais à titre d’ami du capitaine, trop heureux de donner, à Madame LE NINAN quelques souvenirs qu’elle conservera pieusement, et, à ses enfants, l’exemple du sacrifice de leur papa qu’il doivent considérer et aimer comme un héros et un saint.
Semaine de la passion
Le dimanche soir 11 avril, je me mets en route avec les camions de ravitaillement du 2e Bataillon. Pluie diluvienne.nous arrivons vers 23 heures à la ferme Constant, PC du capitaine LE NINAN. Suis reçu cordialement et franchement par le bon sourire du capitaine qui veillait encore. Il envoie des agents de transmissions dans ses points d’appui avancés pour prévenir qu’il y aura messe dans sa cathédrale le lendemain.
Jeudi de la passion 12 avril
De 8h à 8h1/2, je confesse tirailleurs indigènes et européens. Le capitaine se confesse comme à chacune de mes visites. Messe dans la paille avec comme autel un établi huileux qu’on a nettoyé le mieux possible. Tout le monde communie, Capitaine en tête. Je passe la journée à visiter les gens dans les P.A. Le moral est toujours formidable dans cette 6e Cie. D’ailleurs on la nomme toujours « la Cie LE NINAN ». Le soir je quitte le Capitaine et en riant nous nous promettons la messe de Pâques sur l’ALLELUIA (Djebel ALLILIGA surnommé ALLELUIA par les coloniaux), « je vous la servirai, Mon Père ».
Nuit du Vendredi 16 au samedi 17 avril 1943
Le capitaine à la tête de ses hommes tombe, une rafale de balles en plein cœur, sur l’objectif qu’il venait d’escalader, à 20 mètres d’une mitrailleuse boche (Aïn EL ATTIA). C’est ainsi que le christ à voulu associer le sacrifice de Jean Marie LE NINAN à sa propre Passion le jour de la fête de Notre Dame des sept douleurs.
Lundi 19 avril 1943
J’ai appris samedi dernier la mort du Capitaine. D’EL AROUSSA j’accours au 2e bataillon . Je trouve tout le monde consterné. Le Commandant MAESTRACCI, grand ami du capitaine, me demande un service religieux. Ce lundi je dis ma messe pour le capitaine et ceux qu’il a laissé, ses êtres chers qui en France pensent à lui, les gens de sa Cie, tous ses amis.
Mardi 20 avril
Messe de funérailles dans un petit ravin en première ligne. Les capitaines de toutes les compagnies du Bataillon, avec une délégation, viennent assister à la messe présidée par le commandant. A l’absoute on se tourne vers le Djebel ou repose le Capitaine et notre prière à tous va le rejoindre.
Douloureux pèlerinage
Lundi 7 juin 1943
  Accompagné du Lieutenant MARET (un ami du Capitaine) et de quelques hommes de la 6e Cie nous reprenons l’itinéraire suivi par le capitaine lors de l’attaque nocturne.
  La providence avait veillé sur lui puisque nous le retrouvons à l’endroit ou il était glorieusement tombé. A ses côtés, FAIVRE, le petit français qui l’accompagnait, un fusil mitrailleur et un sac de boites chargeurs. Ils ont du être fauchés par la mitrailleuse à 20 m sur leur droite, au moment où ils atteignaient les barbelés allemands pour déborder la résistance boche.
  Nous récitons une courte prière. Les voix disent l’émotion des cœurs. Seul j’arrive à peine à terminer « que votre volonté soit faite »
  Pieusement nous recueillons les restes: MARET et l’aumônier posent le Capitaine dans une grosse bâche. On recueille aussi les précieux souvenirs: le sifflet du Capitaine qu’il portait toujours au baudrier, le portefeuille troué par une balle, les photos de sa femme et de ses enfants, quelques notes. Personne n’a voulu en faire l’inventaire pour que la famille reçoive l’héritage directement des mains du Capitaine lui-même.
  Les hommes sont heureux de ramener leur Capitaine et ne considèrent leur devoir terminé que lorsqu’ils auront confié son corps à la garde de la croix en terre chrétienne.
  Nous sommes à PONT DU FAHS, le Capitaine et le corps des deux autres tués de sa compagnie, le petit FAIVRE et l’adjudant-chef indigène BARO qu’on a retrouvé un peu plus loin enterré sommairement par les italiens.
  A PONT DU FAHS nous posons les corps dans des cercueils de fortune et en attendant les cérémonies religieuses et militaires, une garde d’honneur veille les dépouilles. Toute la nuit les tirailleurs veillent leur capitaine.
  Le mardi matin la 6e compagnie toute entière arrive de Saint Marie du ZIT à PONT DU FAHS pour reprendre « son » Capitaine. Elle ne veut laisser à personne l’honneur de le garder.
Les Adieux
Mardi 08 juin 1943
  Le 2e Bon est arrivé à PONT DU FAHS dans la journée: tous ceux qui ont connu le Capitaine LE NINAN sont là, à 17 heures, pour l’inhumation. Le Lt-Colonel DUOFRY commandant le régiment, le le Lt-Colonel ARNAL ancien chef de Bon du Capitaine, les commandants de Bon, tous les capitaines du régiment et la plupart des officiers du régiment.
  A 17 heures, levée des corps. Les cercueils sont posés sur des brancards recouverts du drapeau tricolore. Les hommes de la 6 ont confectionné tant de bouquets que les corps disparaissent sous les fleurs, gerbes de lauriers, roses, chéchias rouges des tirailleurs qui forment la garde d’honneur, font penser au sang de ceux qui sont tombés sacrifiés. La petite croix de bois blanc qui garde chaque brancard rappelle plus éloquemment la valeur des ces sacrifices.
  A 17 heures, les officiers arrivent, Colonel en tête. L’un après l’autre, ils se figent devant les corps dans un garde à vous impeccable. Une courte prière, une pensée aux disparus et ils saluent virilement. Tous ces belles figures de coloniaux disent assez la place que le Capitaine LE NINAN avait su prendre ou garder dans tous les cœurs.
  L’aumônier fait alors la levée des corps. Première bénédiction des ces pauvres cadavres si longtemps délaissés.
  Les gars de la 6 posent les 3 cercueils sur la plateforme d’un camionnette pendant que la troupe présentent les armes. Le cortège funèbre s’élance de son pas lent. En tête la musique du 15e RTS joue la « marche funèbre » de Chopin alternée par de lugubres batteries de tambour et de tristes sonneries de clairon. Devant le char funèbre, l’aumônier récite les prières des morts. Les corps sont suivis de la famille du 15e RTS, officiers et sous-officiers. Quelques civils se sont joints au cortège. La compagnie du Capitaine entoure les cercueils, l’arme basse, et suit en armes le groupe des officiers. En armes également, une section de chaque compagnie.  Sur le parcours les gens s’arrêtent et saluent les dépouilles: tirailleurs algériens, civils, prisonniers allemands et italiens…
  Le cortège arrive au petit cimetière de PONT DU FAHS. Sous la croix de la porte on dépose les 3 corps. la musique et les officiers leur font face de l’autre coté de la route. La 6e Cie va défiler une dernière fois devant son Capitaine. La musique joue « la victoire en chantant ». Voici le Lieutenant MARET avec sa section. il présente au Capitaine sa compagnie. Il en avait le seul droit étant avec le Capitaine depuis le début. Les sections font « tête droite » en défilant devant les corps.  Placé avec la croix au chevet des cercueils je vois les regards décidés de ceux qui défilent. Les tirailleurs ont leur air grave et mélancolique. Les Européens ont pris leur air dur et malgré tout, les larmes embuent les yeux de plus d’un.
  Les corps sont amenés devant leurs tombes. c’est le moment de la prière. Les troupes forment le carré. « Libera me Domine » les voix claires des 3 enfants de chœurs se mêlent aux voix plus graves de l’aumônier et de son catéchiste indigène. C’est lui aussi un gars de la 6 qui préparait ses amis au baptême et fournissait des filleuls au Capitaine. « Pater Noster »…bénédiction des corps et de la tombe. L’église à reçu ses enfants dans le grand repos éternel.
  Le Colonel prend alors la parole et retrace le sacrifice de nos 3 disparus. Plus d’un marsouin écrase une larme furtivement. Et tandis que la musique joue la sonnerie « Aux Morts », les « Enfants » du Capitaine le posent dans sa dernière demeure.
 Comme le Colonel l’a promis pour tous, les marsouins et les tirailleurs du 15e continuent à prier pour leurs amis disparus et pour ceux qui restent, pour les êtres chers qui souffrent.
BENI DERAJ
le 09 juin 1943
Achille Albrecht.

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